12.06.14 | UNFORTUNATELY, IT WAS PARADISE Q&A
Original version here.
RALITSA: Je ne sais pas si les gens ont envie de parler après avoir vu un film intense comme celui-ci. Vous rappelez-vous de mon film au début? Si oui, de quoi vous souvenez-vous? C’est un film qui porte sur la mémoire et la représentation de celle-ci…
Je comprends pourquoi nos films ont été montrés ensemble; cela à créer une dynamique intéressante. J’ai travaillé à l’aide de found footage de documentaires Ukrainiens et de films de propagandes. À partir de ce contenu politique, j’ai pu en retirer des éléments de la vie banale, du quotidien, tel que cette femme qui marche dans un parc ou d’une autre qui vend des fleurs dans la rue. Dans un sens, à partir de ce contexte politique représenté, j’ai essayé de créer quelque chose de totalement différent qui portait l’esprit de ce temps, qui serait peut-être plutôt de l’ordre de la mémoire. Mais, avec Infiltrators, on se retrouve totalement dans le moment présent représenté, juste là, par ces gens, entrain de marcher dans la rue.
VISIONS: Oui, exactement. Même si l’on connaît le contexte politique, ce qui me semble important à propos de ce film c’est que l’on se retrouve avec ces personnes qui se cachent, courent et essayent de survivre dans ce contexte tendu. Le politique devient en soit une expérience du moment présent.
PUBLIC: Comment avez-vous acquis ces films de found footage?
RALITSA: Ce sont des films que j’ai acquis grâce à mon professeur Richard Kerr. Je travaillais sur un autre projet qui devait constituer mon film pour ma thèse, et, à cette époque, nous devions suivre un cours de montage avec lui. C’est à ce moment qu’il nous a donné ces documentaires. Personne ne voulait les utiliser et tout le monde était bien plus intéresser à faire de la fiction. Cependant, j’aime beaucoup ces documentaires parce qu’ils me rappellent des moments de réalité qu’ont vécu mes parents alors qu’ils se sont rencontrés en Bulgarie, où j’ai grandi. La femme qui marche dans le parc ressemble beaucoup à ma maman. Personne ne le sait, mais je le sais. Donc quand je l’ai vu, j’ai trouvé cette association très intéressante puisque ces images sont au départ impersonnelles. Je ne connais pas l’histoire de ces films, et pourtant j’ai l’impression d’avoir tourné ces images. D’habitude, dans mes films, je fais tout. Je n’avais jamais travaillé à partir de found footage avant de faire ce film. J’étais simplement attirée par l’idée de travailler avec ces films et, éventuellement, je me suis mise à travailler uniquement sur ce projet avec une amie que l’on entend chanter au début et à la fin du film. Nous avons travaillé ensemble sur le son. C’était un projet assez simple à réaliser puisque je n’avais rien à filmer : ainsi, je me sentais libre de faire ce que je voulais. Donc, oui, ces films appartiennent à Richard Kerr, pour répondre à votre question initiale. Richard Kerr est un professeur à Mel Hoppenheim School of Cinema, et un très reconnu cinéaste expérimental.
PUBLIC: Richard Kerr a-t-il filmé ces images?
RALITSA: Comme la plus plupart d’entre vous le savez, il n’y a plus grande production de films en 35mm aujourd’hui. Richard a donc acquis ces vieux films que personne ne voulait. Il a décidé de donner un cours intitulé « Montage », et il y donnait alors ces pellicules trouvées afin que les étudiants travaillent à partir de celles-ci, de la manière dont ils le souhaitaient. L’idée, je présume, était de donner une nouvelle vie à ces films qui tomberaient dans l’oubli. Ce cours est devenu très populaire, et je pense qu’il l’enseigne encore.
VISIONS : Comment avez-vous vécu cette expérience, que de travailler avec des films trouvés? C’est une intéressante forme de « documentaire » dans le sens où vous partez d’un « document », puis vous le re-visionnez…
RALITSA : Comme c’était la première fois que je le faisais, mon approche était très intuitive. Il y avait certains plans qui, immédiatement, me plaisaient. Je ne savais trop pourquoi, jusqu’à mi-parcours du projet : j’ai réalisé que j’aimais faire ce film de manière si différente de ma façon usuelle de travailler. D’habitude, j’ai une idée pour un film, et je l’exécute de manière très spécifique et conceptuelle. Ici, mon approche n’est pas du tout conceptuelle, mais purement intuitive, spontanée et dans le présent de l’action. Ainsi, dans un sens, ces images sont devenues miennes. J’ai l’impression d’avoir tous les droits d’auteur sur ce film, même si je ne sais vraiment d’où proviennent les images.
VISIONS : Comment vous sentez-vous face au monde représenté dans ces films, surtout après avoir ralenti et examiné toutes ces images ? Les voyez-vous plutôt comme des photographies ou simplement comme un espace-temps à part entier?
RALITSA : Le titre, Unfortunately, it was paradise, fait échos à un livre de Mahmoud Darwish, un écrivain palestinien, un recueil de poèmes qu’il a écrit alors qu’il était en exil. Je pense que pour moi, je vois ces images avec une certaine nostalgie. Une nostalgie envers ce que je n’ai jamais vécu, mais envers l’histoire d’un lieu auquel j’appartiens. C’était une façon de m’inscrire dans cette histoire et d’appartenir à ce lieu, alors que je n’y habite pas maintenant, que je me trouve loin. Dans un sens, Unfortunaly, it was paradise, est devenu cette belle « chose » dont je ne peux en fait en garantir son existence, ou était, auparavant, tout simplement une belle chose. Cependant, connaissant l’histoire de mes parents, cette histoire n’était pas belle du tout…
PUBLIC : Il y a plusieurs choses qui me plaisent beaucoup dans votre film. Les trois carrés et cadres qui apparaissent à l’écran, par exemple. À certains moments, ils se rencontrent et créent de nouvelles figures géométriques, un peu comme des enfants dans une classe de ballet. Les images continuent de se superposer et créent une sorte de prisme : il y avait ici quelque chose de très fort. À un autre moment donné, il y a quelque chose de l’ordre d’un écroulement de la vision, ou, encore, ailleurs, on a l’impression qu’un morceau de terre se transforme en une île. Il y avait de très forts « moment géométriques » dans votre film qui, pour moi, créaient leur propre trame narrative.
RALITSA : Oui. C’est le genre de choses que j’ai découvert que je faisais. Ce montage en soi est très formel. Dans un sens, c’était très libérateur. Je ne me projetais pas dans les images, mais je les ‘gérais’. Ainsi, ces formes et ces images se sont créées à partir d’elles-mêmes, à partir de leur contenu, et, moi, je cherchais des moyens afin de créer mon monde à partir de ce matériel qui n’est pas le mien.
PUBLIC : J’y ai vu une sorte de symétrie, et ce, même dans la trame narrative du film. Vous commencez le film avec des images de jeunes enfants, puis de personnes plus âgées, puis vous revenez à de plus jeunes personnes et, finalement, vous finissez votre film sur la même image que celle du début. Tout le film s’apparente à un kaléidoscope. Était-ce intentionnel?
RALITSA : Oui, c’était intentionnel.
PUBLIC : Le rapport avec l’âge aussi? Avez-vous adopté une structure particulière selon l’âge de ces personnages? Était-ce intentionnel?
RALITSA : Non. Par contre, la boucle était prévue. Je n’avais pas pensé à ce rapport avec l’âge, merci de le souligner. Je cherchais simplement des images avec des personnes en mouvement. J’étais très attirée par ces personnes qui marchent. J’aime beaucoup marcher et, vous savez, quand on marche et que l’on perd notre rapport au réel : vous êtes physiquement présents, mais plus totalement…Je ressentais que ces marcheurs étaient perdus dans leur pensée, se trouvaient ailleurs. Mais pour revenir à cette question sur l’âge, je n’y avais pas pensé. Ce film a été fait pour être présenté en installation, ainsi il a joué dans des galeries, non pas en festivals. Je préfère le présenter sur un mur en coin pour qu’une image serve de miroir à l’autre : ainsi, le tout est d’autant plus kaléidoscopique.
Ici, c’est un très bel espace pour mon film, en fait. Je remercie Alek pour nous accueillir, ainsi que Ben. C’est le premier lieu où je suis venue voir un film à Montréal puisque j’habite de l’autre côté de la rue. Ça me fait très plaisir d’y présenter mon film, quelques années plus tard. Je suppose que j’y suis arrivée!
Traduction : Emma Roufs - 02/11/2014
Je comprends pourquoi nos films ont été montrés ensemble; cela à créer une dynamique intéressante. J’ai travaillé à l’aide de found footage de documentaires Ukrainiens et de films de propagandes. À partir de ce contenu politique, j’ai pu en retirer des éléments de la vie banale, du quotidien, tel que cette femme qui marche dans un parc ou d’une autre qui vend des fleurs dans la rue. Dans un sens, à partir de ce contexte politique représenté, j’ai essayé de créer quelque chose de totalement différent qui portait l’esprit de ce temps, qui serait peut-être plutôt de l’ordre de la mémoire. Mais, avec Infiltrators, on se retrouve totalement dans le moment présent représenté, juste là, par ces gens, entrain de marcher dans la rue.
VISIONS: Oui, exactement. Même si l’on connaît le contexte politique, ce qui me semble important à propos de ce film c’est que l’on se retrouve avec ces personnes qui se cachent, courent et essayent de survivre dans ce contexte tendu. Le politique devient en soit une expérience du moment présent.
PUBLIC: Comment avez-vous acquis ces films de found footage?
RALITSA: Ce sont des films que j’ai acquis grâce à mon professeur Richard Kerr. Je travaillais sur un autre projet qui devait constituer mon film pour ma thèse, et, à cette époque, nous devions suivre un cours de montage avec lui. C’est à ce moment qu’il nous a donné ces documentaires. Personne ne voulait les utiliser et tout le monde était bien plus intéresser à faire de la fiction. Cependant, j’aime beaucoup ces documentaires parce qu’ils me rappellent des moments de réalité qu’ont vécu mes parents alors qu’ils se sont rencontrés en Bulgarie, où j’ai grandi. La femme qui marche dans le parc ressemble beaucoup à ma maman. Personne ne le sait, mais je le sais. Donc quand je l’ai vu, j’ai trouvé cette association très intéressante puisque ces images sont au départ impersonnelles. Je ne connais pas l’histoire de ces films, et pourtant j’ai l’impression d’avoir tourné ces images. D’habitude, dans mes films, je fais tout. Je n’avais jamais travaillé à partir de found footage avant de faire ce film. J’étais simplement attirée par l’idée de travailler avec ces films et, éventuellement, je me suis mise à travailler uniquement sur ce projet avec une amie que l’on entend chanter au début et à la fin du film. Nous avons travaillé ensemble sur le son. C’était un projet assez simple à réaliser puisque je n’avais rien à filmer : ainsi, je me sentais libre de faire ce que je voulais. Donc, oui, ces films appartiennent à Richard Kerr, pour répondre à votre question initiale. Richard Kerr est un professeur à Mel Hoppenheim School of Cinema, et un très reconnu cinéaste expérimental.
PUBLIC: Richard Kerr a-t-il filmé ces images?
RALITSA: Comme la plus plupart d’entre vous le savez, il n’y a plus grande production de films en 35mm aujourd’hui. Richard a donc acquis ces vieux films que personne ne voulait. Il a décidé de donner un cours intitulé « Montage », et il y donnait alors ces pellicules trouvées afin que les étudiants travaillent à partir de celles-ci, de la manière dont ils le souhaitaient. L’idée, je présume, était de donner une nouvelle vie à ces films qui tomberaient dans l’oubli. Ce cours est devenu très populaire, et je pense qu’il l’enseigne encore.
VISIONS : Comment avez-vous vécu cette expérience, que de travailler avec des films trouvés? C’est une intéressante forme de « documentaire » dans le sens où vous partez d’un « document », puis vous le re-visionnez…
RALITSA : Comme c’était la première fois que je le faisais, mon approche était très intuitive. Il y avait certains plans qui, immédiatement, me plaisaient. Je ne savais trop pourquoi, jusqu’à mi-parcours du projet : j’ai réalisé que j’aimais faire ce film de manière si différente de ma façon usuelle de travailler. D’habitude, j’ai une idée pour un film, et je l’exécute de manière très spécifique et conceptuelle. Ici, mon approche n’est pas du tout conceptuelle, mais purement intuitive, spontanée et dans le présent de l’action. Ainsi, dans un sens, ces images sont devenues miennes. J’ai l’impression d’avoir tous les droits d’auteur sur ce film, même si je ne sais vraiment d’où proviennent les images.
VISIONS : Comment vous sentez-vous face au monde représenté dans ces films, surtout après avoir ralenti et examiné toutes ces images ? Les voyez-vous plutôt comme des photographies ou simplement comme un espace-temps à part entier?
RALITSA : Le titre, Unfortunately, it was paradise, fait échos à un livre de Mahmoud Darwish, un écrivain palestinien, un recueil de poèmes qu’il a écrit alors qu’il était en exil. Je pense que pour moi, je vois ces images avec une certaine nostalgie. Une nostalgie envers ce que je n’ai jamais vécu, mais envers l’histoire d’un lieu auquel j’appartiens. C’était une façon de m’inscrire dans cette histoire et d’appartenir à ce lieu, alors que je n’y habite pas maintenant, que je me trouve loin. Dans un sens, Unfortunaly, it was paradise, est devenu cette belle « chose » dont je ne peux en fait en garantir son existence, ou était, auparavant, tout simplement une belle chose. Cependant, connaissant l’histoire de mes parents, cette histoire n’était pas belle du tout…
PUBLIC : Il y a plusieurs choses qui me plaisent beaucoup dans votre film. Les trois carrés et cadres qui apparaissent à l’écran, par exemple. À certains moments, ils se rencontrent et créent de nouvelles figures géométriques, un peu comme des enfants dans une classe de ballet. Les images continuent de se superposer et créent une sorte de prisme : il y avait ici quelque chose de très fort. À un autre moment donné, il y a quelque chose de l’ordre d’un écroulement de la vision, ou, encore, ailleurs, on a l’impression qu’un morceau de terre se transforme en une île. Il y avait de très forts « moment géométriques » dans votre film qui, pour moi, créaient leur propre trame narrative.
RALITSA : Oui. C’est le genre de choses que j’ai découvert que je faisais. Ce montage en soi est très formel. Dans un sens, c’était très libérateur. Je ne me projetais pas dans les images, mais je les ‘gérais’. Ainsi, ces formes et ces images se sont créées à partir d’elles-mêmes, à partir de leur contenu, et, moi, je cherchais des moyens afin de créer mon monde à partir de ce matériel qui n’est pas le mien.
PUBLIC : J’y ai vu une sorte de symétrie, et ce, même dans la trame narrative du film. Vous commencez le film avec des images de jeunes enfants, puis de personnes plus âgées, puis vous revenez à de plus jeunes personnes et, finalement, vous finissez votre film sur la même image que celle du début. Tout le film s’apparente à un kaléidoscope. Était-ce intentionnel?
RALITSA : Oui, c’était intentionnel.
PUBLIC : Le rapport avec l’âge aussi? Avez-vous adopté une structure particulière selon l’âge de ces personnages? Était-ce intentionnel?
RALITSA : Non. Par contre, la boucle était prévue. Je n’avais pas pensé à ce rapport avec l’âge, merci de le souligner. Je cherchais simplement des images avec des personnes en mouvement. J’étais très attirée par ces personnes qui marchent. J’aime beaucoup marcher et, vous savez, quand on marche et que l’on perd notre rapport au réel : vous êtes physiquement présents, mais plus totalement…Je ressentais que ces marcheurs étaient perdus dans leur pensée, se trouvaient ailleurs. Mais pour revenir à cette question sur l’âge, je n’y avais pas pensé. Ce film a été fait pour être présenté en installation, ainsi il a joué dans des galeries, non pas en festivals. Je préfère le présenter sur un mur en coin pour qu’une image serve de miroir à l’autre : ainsi, le tout est d’autant plus kaléidoscopique.
Ici, c’est un très bel espace pour mon film, en fait. Je remercie Alek pour nous accueillir, ainsi que Ben. C’est le premier lieu où je suis venue voir un film à Montréal puisque j’habite de l’autre côté de la rue. Ça me fait très plaisir d’y présenter mon film, quelques années plus tard. Je suppose que j’y suis arrivée!
Traduction : Emma Roufs - 02/11/2014